Loterie
FAUVE

De ma fenêtre je vois les élèves du lycée Rodin

Qui sortent de cours en poussant des cris de joie,

Les garçons paradent, ils ont l'air plein de sève,

Et les leggings des filles serrent leurs jambes

Et leurs fesses encore fermes

J'aurais bien aimé connaître le lycée public

Apprendre la vie au bon moment

Être à l'aise un peu couillu et effronté faire ma puberté dans les temps

Piquer des trucs dans les supermarchés, perdre mon pucelage tôt,

Me prendre des droites et en redonner quelques-unes en retour sans m'écraser

Mais ça a pas été le cas non loin de là,

Moi j'étais plutôt de ceux qui rasent les murs

Qui font pas de vagues un genre de grenat

Un gentil petit collabo' coincé du cul et peureux comme y'a pas

Qui fait tout bien comme on lui demande

Qui se lève tôt se couche tôt et travaille quand il faut

Mes parents m'ont pas forcé j'ai fait ça tout seul comme un grand

Puis je me suis obstiné durant des années

Forcement ça a fini par me jouer des tours

Depuis j'essaie de faire avec, j'essaie de faire dévier le sillon

Ce sera pas facile non,

Heureusement j'suis pas seul pour faire taire la voix qui me répète,

Tu seras lâche et impuissant,

Résigné, soumis, déprimant,

Insuffisant, pas adapté, spectateur dans le fossé,

Tu seras tout seul, divorcé, sans enfants, remarié,

Alcolo, adultère, fils indigne, mauvais frère

Tu seras amère, trop sévère

Malheureux toujours en colère

Méprisable, imbuvable, égoïste, insupportable,

Tu seras ce qu'on te dit, tu discutes pas,

Ici-bas c'est comme ça,

T'as compris le jeu p'tit merdeux?

C'est la roulette tu choisis pas.

Ah ouais tu crois ça?

Bah écoute, j'sais pas pour toi, mais pour moi ce sera,

La tête haute, un poing sur la table

Et l'autre en l'air, fais moi confiance

Avant de finir six pieds sous terre, j'aurais vécu tout c'qui a à vivre

J'aurais fait tout ce que j'peux faire

Tenter tout ce qui a à tenter

Et surtout j'aurais aimé

De ma fenêtre j'vois les gens qui partent au taff'

Y'en a qui ont fière allure avec leur beau manteau

Et leurs belles chaussures

D'autres au contraire ont l'air de ramasser sévère

Toutes celles et ceux qui s'en vont une fois de plus

Servir la soupe aux autres

Ma conscience de p'tit blanc me rattrape aussitôt

Tu vois, tu devrais arrêter de te plaindre

Mais pourtant je sais pas

Est-ce que c'est nous qui sommes devenu des baltringues

Est-ce que c'est le monde qui part en vrille

Parfois j'me dis qu'on nous a tellement habitué au goût de la culpabilité

Qu'on est devenu incapable d'y voir clair

Par exemple, moi pendant longtemps j'me suis acharné

À me ranger dans une boîte

À avoir une vie normale sans accro, sans risque, sans drame

Avoir un métier normal, un salaire normal,

Des sentiments normaux, une femme normale, une mort normale etc etc

Mais j'ai pas pu, c'était trop pour moi

J'étais pas assez endurant

Alors à la place j'ai chercher une feinte pour vivre dignement

Et aujourd'hui j'me saigne pour essayer d'aider les miens

La bonne façon d'agir

Selon des nobles fins

Et un jour enfin donner tord à cette voix qui me répète,

Tu seras dominant ou noyé

Écrasant ou écrasé

Carnassier ou dispensable

Gagnant ou donné négligeable

Tu seras semblable à tes semblables

Comme tout le monde, ou dégradable

Plus malin ou trou du cul

Tortionnaire ou corrompu

Tu seras battu et silencieux

Ou bien cruel, mais victorieux

Rigoureux ou inutile

Féroce ou détails futiles

Tu seras ce qu'on te dit tu discutes pas

Ici bas, c'est comme ça

T'as compris l'jeu petit merdeux

C'est la roulette, tu choisis pas

Ah ouais tu crois ça?

Bah écoute, j'sais pas pour toi, mais pour moi ce sera,

La tête haute, un poing sur la table

Et l'autre en l'air, fais moi confiance

Avant de finir six pieds sous terre,

J'aurais vécu tout c'qui a à vivre

Et j'aurais fait tout ce que j'peux faire

Tenté tout ce qui a à tenter

Et surtout, et surtout j'aurais aimé

De ma fenêtre j'vois un bout de l'enceinte de l'hôpital

Si je penche un peu la tête

J'peux peut-être arriver à voir le bâtiment des consultations

J'repense à toutes ces fois où on m'a dit,

T'es trop sensible

Mais ça va aller, fais pas cette tête

Bon OK, ce sera peut-être pas tous les jours la fête

Et le docteur de la tête qui me répète que c'est comme ça,

Qu'il faut que je l'accepte

Que c'est comme le diabète, qu'il faut vivre avec

Alors j'essaye chaque jour que Dieu fait

J'ai pas dit mon dernier mot t'inquiète

Y'a rien d'écrit, rien d'écrit

Et nique la voix qui m'dis,

Tu seras schizo', bipolaire, trop fragile, suicidaire

Tyrannique, incurable, repoussant

Pas regardable

Tu seras sadique, narcissique, voyeur, pervers

Égocentrique, destructeur

Dépressif, obsessionnel, compulsif

Tu seras damné, condamné

Étendu sur la chaussée

Déformé, mal branlé

Démoli, trois fois rejeté

Tu seras ce qu'on dit tu discutes pas

Ici bas, c'est comme ça

T'as compris l'jeu petit merdeux

C'est la roulette, tu choisis pas

Ah ouais tu crois ça?

Bah écoute, j'sais pas pour toi, mais pour moi ce sera,

La tête haute, les coudes sur la table

Le poing en l'air, fais moi confiance

Avant de finir six pieds sous terre,

J'aurais vécu tout c'qui a à vivre

Et j'aurais fait tout ce que j'peux faire

Tenté tout ce qui a à tenter

Et surtout on m'aura aimé.


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